Horloges atomiques et nucléaires
La seconde est définie par la transition hyperfine de l'atome de césium, autrement dit par son nuage électronique. On pourrait faire mieux avec un noyau atomique.
Définition de la seconde
La seconde, unité fondamentale de notre système de mesure, a été définie comme étant 9 192 631 770 oscillations de la fréquence de transition hyperfine de l'atome de césium (non perturbé, à 0 K).
L'idée étant d'avoir une fréquence de référence aussi élevée de possible, stable vis-à-vis de paramètres extérieurs, indépendante technologiquement parlant pour n'appartenir à personne (pas comme le mètre-étalon, dans le temps). On avait utilisé la rotation terrestre, mais on s'est rendu compte que la Terre ne tournait pas rond !
Pour rester toujours à l'heure, vous pouvez réaliser votre propre pendule basée sur une horloge atomique en décodant les signaux radios émis par certaines stations radiofréquences comme le DCF77.
Le DFC77 utilise 3 horloges atomiques pour définir le temps et la fréquence de la porteuse à 77.5 kHz.
Horloge atomique
Comment marche une horloge atomique ?
Lorsque qu'un électron change de niveau électronique dans un atome, cela se fait forcément avec une énergie très précise, quantifiée, qui est reliée à une fréquence via la constante de Planck (fixe par définition).
On va donc s'arranger pour obtenir des atomes présentant un niveau d'énergie particulier, en les triant pour n'avoir que ceux-là, en asservissant les paramètres de triage. On aura évidemment intérêt à placer ces atomes dans une enceinte spéciale de manière à les isoler au maximum du reste de l'univers afin d'obtenir la précision la plus importante possible.
C'est en asservissant les paramètres de triage que l'on arrivera à obtenir une précision bien supérieure à la simple fréquence liée au changement de niveau électronique.
Les 9.2 GHz de la transition hyperfine du césium ne sont pas difficiles à approcher, et ça tombe dans le domaine des micro-ondes (le Wifi et nos fours à micro-ondes sont à 2.4 GHz). Ce qui est fort pratique. Et c'est facile à compter avec nos puces électroniques.
- Pour obtenir les atomes à la transition atomique initiale, on chauffe du césium 133. Les atomes sont éjectés, et on va les trier avec un premier champ magnétique qui vont dévier ceux qui nous intéressent.
- Avec un générateur micro-ondes proche de l'énergie de transition, avec la fréquence que l'on cherche justement à obtenir avec précision, on va exciter ces atomes. Plus on sera proche de la bonne fréquence, plus il y aura d'atomes qui auront "accrochés" cette fréquence et seront dans l'état excité (cavité de Ramsey).
- Après avoir dévié les atomes dans un champ magnétique adéquat, on trie les atomes excités, ce qui permet de les compter.
- On asservit alors le système de manière à maximiser le nombre d'atomes excités, et au maximum, la fréquence micro-onde est celle de la transition.
C'est assez facile à dire dans le principe, mais c'est assez subtil dans la réalisation car on voudra se débarrasser de toutes les perturbations extérieures indésirables.
Bien sûr que de nos jours, c'est plus petit, d'ailleurs il y en a une dans nos satellites GPS.
La précision s'est améliorée en utilisant des jets atomiques (fontaine à césium), où les atomes passent deux fois dans la cavité de Ramsey, en montant puis en retombant. Et cela annule le décalage Doppler.
Puis on a inventé les horloges à ions Al+, qui présentent une incertitude telle que l'on peut détecter une différence d'altitude de 33 cm (le champ de gravitation terrestre perturbe le temps). Mais bon, ce ne fut qu'une amélioration d'un facteur 10.
Ensuite on est passé aux atomes neutres piégés dans une mélasse optique à laser, permettant l'utilisation d'un plus grand
nombre d'atomes, ce qui a amélioré la précision encore d'un facteur 10, à 10⁻¹⁸ sur un jour.
Soit une seconde sur l'âge de l'univers 😵.
Les fréquences des transitions atomiques sont fonctions de deux constantes sans dimension :
- α constante de structure fine
- μ rapport de la masse du proton à celle de l’électron
Ces fonctions dépendent de la transition considérée. Le rapport de deux fréquences d’horloge n’est donc constant que si α et μ sont eux-mêmes constants (ou s’ils varient de façon corrélée). La réponse est oui, jusqu'à présent, ce qui impose des contraintes pour de nouvelles théories cosmologiques.
Historique des techniques et amélioration de la précision (en particulier par l'utilisation de peigne, mais attention, c'est très compliqué) :
- [2015] La passion de la précision et la mesure du temps Chaire de Physique Quantique-Cours 2014-2015 5ᵉ leçon - 7 avril 2015 (Collège de France, S.Haroche)
Notez que cette leçon date d'avant l'avènement des horloges nucléaires.
Horloge nucléaire
Au lieu d'utiliser les sauts quantiques des électrons autour d'atomes, il parait préférable d'utiliser les sauts quantiques des protons et neutrons au sein du noyau atomique, ce sont les horloges nucléaires. On peut « allumer » un noyau à l'aide d'un faisceau laser comme on allumerait une lampe avec un interrupteur.
Un noyau atomique sera nettement moins perturbé que les électrons par les champs externes, et les fréquences requises sont nettement plus élevées, augmentant drastiquement la précision.
Sauf que produire de telles fréquences avec précision et puissance n'est vraiment pas facile, et ce fut toute une histoire pour y arriver.
Le thorium 229
Le thorium-229 est un sous-produit de la désintégration de l'uranium-233 (un isotope intéressant pour les armes), dont le noyau présente un état excité à une fréquence bien moins importante que d'habitude.
Cette histoire d'état excité est le résultat de la guerre entre les forces électromagnétiques qui essayent de repousser les protons entre eux,
et de l'interaction forte qui les rassemblent. Si on ne comprend pas vraiment pourquoi ça marche comme ça,
les chercheurs ont constaté que l'inversion du spin du neutron le plus externe du thorium-229 utilise
10 000 fois moins d'énergie qu'une excitation nucléaire habituelle.
Les forces électromagnétiques et l'interaction forte se compensent presque exactement pour ce spin particulier,
et du coup l'état nucléaire de base et l'état excité sont quasiment identiques.
Un coup de bol, découvert en 1976.
Vers 1990, on mesura une dizaine d'électrons-volt pour cette transition, où d'habitude c'est plutôt des millions. Et c'est le seul de toute la liste d'éléments qu'on connait !
Puis vint l'idée d'utiliser cette transition pour faire une horloge, avec la difficulté d'extraire ce thorium des réserves américaines d'uranium-233, farouchement gardées sous contrôle militaire.
Mais trouver la bonne fréquence, exacte, qui provoque cette transition nucléaire n'a vraiment pas été facile, les recherches se poursuivant pendant les années 2000 et 2010. Essayer les fréquences une par une était vraiment trop long.
En 2023, le CERN réussit à exciter le thorium-229, et à obtenir le rayonnement ultraviolet issu de la transition, ce qui a permis de cerner la fréquence tant recherchée.
Et finalement, en 2024, les chercheurs ont réussi à accrocher le signal sur une horloge atomique au strontium-87, ouvrant la voie aux horloges nucléaires.
2 020 407 384 335 000 Hz ±2000 est le nombre magique.
Avec 9 192 631 770 Hz, le césium peut aller se rhabiller.
- [2024] Frequency ratio of the 229mTh nuclear isomeric transition and the 87Sr atomic clock / Zhang & al.
- [2024] The First Nuclear Clock Will Test if Fundamental Constants Change / Quanta magazine
Utilité
Une horloge atomique dans une puce
Les horloges atomiques les plus fréquentes et éventuellement connues sont les horloges à rubidium depuis les années 1950.
Il faudra l'avènement des VCSELs « Vertical Cavity Surface Emitting Laser » et la compréhension puis l'usage du phénomène quantique CPT « coherent population trapping » pour que des horloges atomiques miniatures, soient disponibles commercialement.
La première CSAC commerciale fut révélée en 2011. Les prix sont de l'ordre de plusieurs milliers de dollars.
Et puis ça consomme pas mal d'énergie.
La fabrication d'une cellule de gaz contenant l'alcalin cible (rubédium, césium) plus d'autres gaz pour compenser certains effets, (par exemple réduire les collisions avec le boiter) est vraiment délicate. Puis il faut assembler avec le VCSEL, et les autres composants, le processeur, l'électronique... cela finit par coûter cher.
Je vous recommande ce rapport (autant que l'argent de la communauté européenne serve) :
- [2021] Chip-Scale Atomic Clocks :
Physics, technologies, and applications / M.Travagnin
- résume la situation
- décrit les systèmes commerciaux (vous aurez une liste)
- détaille les usages des CSAC, en particulier le domaine militaire
Usages : avions (les turbulences perturbent les horloges), systèmes de navigation GPS GNSS (anti-spoof, meilleure acquisition), synchronisation d'horloges pour réseaux, antennes relais des téléphones mobiles, sonars, exploitation pétrolière (sondages sismiques)...
Voilà, vous pourrez à présent briller en société en parlant d'horloge nucléaire plutôt qu'atomique.
😎
Au quatrième top, il sera exactement... (référence pour vieux)