Coffre-fort temporel

Mars 2023

Comment mesurer un délai de manière sécurisée en se basant sur la demi-vie d'un isotope ?

Commençons par réviser ce qu'est la demi-vie.

Demi-vie d'un isotope

J'ai déjà fait une page sur la demi-vie et je vais reprendre ici les éléments qui nous intéressent.

Le phénomène de base est qu'au bout d'un certain temps, la demi-vie, pour un isotope donné, il ne reste que la moitié des atomes initiaux, les autres se sont désintégrés.

Voici l'illustration pour le Carbone 14 :

Dans notre cas, il nous faudra choisir un isotope adapté à notre objectif. Par exemple, si on veut mesurer des années, il sera certainement peu judicieux de choisir un isotope à demi-vie de l'ordre de la minute, ou à l'inverse en millions d'années. Le Nickel 63 avec sa demi-vie de 100 ans parait être un bon candidat.

On choisira également un isotope disponible facilement, "commode à manipuler" pour la fabrication, avec des quantités facilement maitrisables, et de manière à rendre la radioactivité négligeable pour l'environnement en évitant les réactions épidermiques qui m'énervent.

Mesurer

Il nous faudra mesurer la quantité d'atomes restants au bout d'un certain délai, ce qui implique de pouvoir mesurer la quantité initiale, puis la quantité finale.

L'idée naïve d'utiliser une balance pour les peser n'est pas totalement impossible, on pourrait utiliser la fréquence de résonance d'une poutrelle en silicium, mais elle sera certainement délicate à réaliser.

Par contre, mesurer la radioactivité, c'est-à-dire le nombre de désintégrations par unité de temps (unité à choisir judicieusement), est une chose relativement facile à faire, j'ai déjà expliqué cela dans ma page sur les mesures de radioactivité. On regardera plus particulièrement la section sur la détection avec du silicium : une simple diode suffit !

Voici une méthode de mesure bien compatible
avec la fabrication des puces cryptographiques silicium.

L'idée de base consiste à obtenir un comptage d'évènements qui soit statistiquement répétable, c'est-à-dire que pour la même quantité d'atomes, on mesure toujours la même valeur.

Par exemple, si on avait une centaine d'atomes, et une demi-vie de quelques jours, il est certain que compter le nombre de désintégrations sur une minute ne donnera jamais le même résultat sur plusieurs mesures, si tant est qu'on arrive à en voir au moins une ! Il va nous falloir beaucoup plus d'atomes ─ça c'est facile à faire─ mais pas trop pour ne pas saturer le capteur et limiter la radioactivité.

C'est le moment de s'intéresser à la courbe de décroissance.

λ est la constante de désintégration, mais on utilise plutôt la demi-vie, le temps qu'il faut pour que la moitié des atomes initiaux se désintègrent :

λ = ln(2) / demi-vie

C'est une distribution binomiale, et pour un grand nombre d'atomes (N≫1) et une courte durée de mesure (τ≪demi-vie), ça suit une loi de Poisson. Autrement dit, si on a n atomes et un temps de mesure τ on aura

désintégrations = λ n τ

C'est statistique, et si on fait beaucoup de mesures, on observera une courbe en cloche avec un certain écart-type, ce qui limitera la précision d'autant plus que le rendement de détection ne sera pas 100%. Mais au moins cette formule donnera un ordre de grandeur concernant le nombre d'atomes à mettre en œuvre. Il parait évident qu'en augmentant le nombre d'atomes, on améliorera la précision.

Comme on est toujours pressé dans la vie, il est probable que l'on utilisera un temps de mesure de l'ordre d'une seconde, mais probablement pas une heure.

On notera que ce temps de mesure n'a pas besoin d'être précis genre je veux exactement une seconde pile-poil, mais fidèle, il faut que ce soit toujours le même peu importe sa valeur exacte, environ une seconde.

Mesurer un délai

Pour mesurer un délai, il faudra réaliser deux mesures afin de pouvoir faire la différence entre l'état initial et l'état final.

On ne confondra pas le temps de mesure, par exemple une seconde, et le délai que l'on veut mesurer, par exemple 5 heures. Et on se rend compte qu'il ne sera pas raisonnable de mesurer un délai de 20 secondes avec une mesure qui dure 1 seconde. Il faudra adapter le temps de mesure en fonction du délai objectif et du nombre d'atomes mis en œuvre.

Si on veut mesurer des délais très courts, il faudra beaucoup d'atomes d'un isotope à très faible demi-vie, et avoir un temps de mesure bien plus court que le délai (un facteur 100 ne donnerai au mieux qu'une précision de 1%). C'est du bon sens !

Voici un exemple de mise en œuvre, où du 63Ni (Nickel 63) est déposé sur une diode, et un compteur de radioactivité récupère le signal issu de la diode, comptant le nombre de "coups" qui arrivent durant un temps de mesure arbitraire, par exemple 10 secondes.

Du nickel 63 sur une diode et on mesure la radioactivité.

Mettons que l'on veuille mesurer un délai de 200 ans.

La première opération consiste à calculer le niveau de radioactivité cible que l'on aura après ce délai.

Pour cela, on effectue une mesure de la radioactivité à la date de départ. On obtient par exemple 10 000.

Comme on veut chronométrer 200 ans, et que la demi-vie du 63Ni est de 100 ans, le niveau cible est facile à deviner, c'est la moitié de la moitié, soit 2 500. Cette valeur cible est enregistrée dans une mémoire (qui ne sera plus modifiable).

Le niveau cible est calculé à partir du niveau mesuré et du délai voulu.
La valeur est enregistrée et n'est plus modifiable.

Puis on attend. On attend encore. Pas besoin de piles !

Au bout de 100 ans, on veut vérifier la valeur, on effectue une mesure (en fournissant un petit peu d'énergie).

À chaque lecture de radioactivité, on compare avec la valeur cible.

La mesure donne 5 000 (on est à la demi-vie !). Une comparaison avec la valeur enregistrée, 2 500, montre que l'on n'a pas encore atteint la cible, il faudra mesurer une valeur inférieure à 2 500 pour être certain que 200 ans se sont écoulés.

Dans ce cas d'école, on se rend compte que la précision ne va pas être extraordinaire vu que 200 ans/2500 fait 1 mois. Il faudra augmenter le nombre d'atomes de 63Ni pour augmenter la valeur de la mesure, et/ou augmenter le temps de mesure.
Mais bon, au bout de 200 ans, on n'est plus à un mois près...

Accessoirement, le 63Ni se désintègre en un isotope de cuivre stable avec uniquement du rayonnement ß- (des électrons), arrêté par quelques millimètres d'air.

Arrivé là, vous devriez être convaincu que l'on peut mesurer un délai en mesurant la radioactivité d'un isotope radioactif judicieusement choisi, directement sur une puce silicium.

C'est important car c'est la pièce qui manque pour atteindre l'objectif, vu que la cryptographie utilise déjà des puces silicium : on va pouvoir combiner !

Ne vous énervez pas si vous vouliez poser un brevet, c'est déjà fait : Notice n° FR3125143 Circuit intégré programmable utilisant une source radioactive.