Les rayons cosmiques
Le paradoxe GZK

31 janvier 2025

La Terre est arrosée en permanence par les rayons cosmiques, des particules dont l'énergie peut atteindre des valeurs fantastiques —sauf que la théorie GZK indique que cela ne devrait pas arriver...

On avait déjà brièvement vu les rayons cosmiques dans les sources radioactives communes, mais cette fois, nous allons détailler cela.

Constitution du rayonnement cosmique

Si on met de côté les photons et les neutrinos, l'espace intersidéral est plutôt vide, quelques particules égarées genre 200 atomes d'hydrogène par litre, sans commune mesure avec les concentrations au niveau de la Terre, le nombre d'Avogadro 6.10²³ défini une mole, soit 12 grammes de carbone.

Mais on observe aussi des particules de haute énergie, avec des valeurs parfois extraordinaires. L'expérience AMS Alpha Magnetic Spectrometer sur la station spatiale internationale a permis de donner la répartition par noyau :

L'hydrogène, ou plutôt le proton domine largement (échelle logarithmique). Mais on trouve de tout, la répartition est différente de celle trouvée sur Terre pour certains éléments, par exemple le lithium, le béryllium et le bore.

🤨 Le rayonnement cosmique n'est pas un rayon ? Une onde électromagnétique ?
On l'a cru, c'est pour ça que le nom rayonnement a été utilisé.
😮 Ces particules ne vont pas à la vitesse de la lumière alors !
Effectivement, mais pas très loin, ce qui implique des énergies considérables, voire surprenantes.
😥 Alors c'est dangereux !
😳 Heureusement que notre atmosphère nous protège.
🤔 Mouais. Si ce n'était pas le cas, alors nous n'existerions pas sous notre forme actuelle d'humain.
🤓 Ce n'est pas faux.

Collisions avec notre atmosphère

Lorsqu'un rayon cosmique arrive au niveau de notre atmosphère, il entre en collision avec un noyau d'oxygène ou d'azote, ce qui crée de nouvelles particules qui vont également interagir, ce qui formera une gerbe, principalement des pions, qui vont se désintégrer en muons. Mais aussi pas mal d'autres particules et photons.

rayon cosmique : gerbe dans l'atmosphère
Gerbe issue d'un rayon cosmique. En pratique, seul les muons μ arrivent au niveau du sol car ils réagissent peu avec la matière. Les neutrinos ν réagissent encore moins, et on en a déjà des pelletés qui arrivent directement du soleil.

On comprend alors pourquoi on observe plus de radioactivité en altitude : l'air se raréfie, et moins de collisions se produisent.

Dès que vous faites un trajet en avion, alors vous vous prenez une dose de radioactivité nettement plus importante que d'habitude. Du genre 25 fois plus.

Je l'ai mesurée avec mon propre compteur Geiger.

Construire un détecteur de rayons cosmiques, ou plutôt des particules secondaires qui en sont issues, est à la portée de l'amateur, vous trouverez sur le web pas mal de propositions, les plus compliqués avec des détecteurs en coïncidence pour avoir une idée de la direction.

La durée de vie des muons a permis d'exhiber la dilation du temps en relativité restreinte.

Du coup, même avec sa demi-vie de 2 μs, il parcourt vivant (vu de notre fenêtre) les 30 km d'atmosphère à quasiment la vitesse de la lumière en une centaine de μs, car il interagit très peu avec la matière (mais un petit peu quand même, qu'on puisse le détecter).

Énergie des rayons cosmiques

Les rayons cosmiques sont étudiés depuis des lustres, et voici à quoi ressemble leur spectre d'énergie, autrement dit la quantité de particules en fonction de leur énergie ramenée au temps, à la surface et à leur direction :

spectre d'énergie des rayons cosmiques
Il s'agit du flux en énergie par m², par seconde et par angle solide.

Comme on pouvait s'y attendre, plus les rayons cosmiques sont énergétiques, plus ils sont rares, et la courbe est plutôt bien régulière à première vue.

Notez l'usage des logarithmes. Eh oui, le spectre est énorme ! Le flux varie de 32 ordres de grandeur (de 10-28 à 104) depuis un nombre très important de particules aux basses énergies (plusieurs centaines de particules par m² et par seconde) à une valeur ridiculement faible à mesurer, genre une particule par km² et par siècle.

En ce qui concerne les basses énergies, l'origine est notre Soleil comme on peut s'en douter. Mais pour les hautes ?

Records

Nos facétieux astrophysiciens ont donné des noms aux records enregistrés :

  • 3,2×1020 eV : Oh-My-God par le détecteur Fly's Eye, le 15 juin 1991
  • 2,44×1020 eV : Amaterasu (déesse japonaise du Soleil) le 27 mai 2021

1020 eV est l’énergie d’une balle de tennis lors d’un service à 150 km/h. Pour un seul et misérable proton. Le grand collisionneur d'hadrons du CERN est carrément ridicule... Cela devrait rassurer tous ceux qui s'inquiètent des expériences du CERN qui pourrait provoquer des catastrophes. Même pas, car ils sont complotistes.

  • 91 GeV (109 eV) : collisionneur LEP (électron-positron), arrêté en 2000.
  • 14 TeV (1012 eV) : l'actuel LHC, projette des protons à 7 TeV en collision
  • 100 TeV (1012 eV) : objectif du futur collisionneur FCC-hh.

Même en projetant des atomes de plomb, on est loin des rayons cosmiques. Sauf que si vous creusez, alors vous vous heurterez au problème du référentiel de laboratoire et de la relativité restreinte, l'énergie de collision avec une particule au repos est bien moindre que ce que l'on pourrait croire.

Genou et cheville

Les pointilleux auront remarqué l'existence du genou et de la cheville, deux ruptures de pente pas si évidentes, et comme c'est illisible de cette manière, on a trouvé malin de multiplier par (environ) le cube de l'énergie, ce qui rend les choses plus accessibles :

Le flux multiplié par (environ) le cube de l'énergie

On voit bien mieux les coudes du genou et de la cheville si on peut dire 😁

Si la quasi-droite de la courbe précédente parait logique et facile à expliquer (la probabilité d'observer une particule énergétique diminue avec son énergie), expliquer ce qui se passe à très haute énergie est très délicat, les publications tendant d'éclaircir les choses sont pléthores, et en fait, il faut reconnaitre qu'on n'en sait rien.

Car non seulement les évènements sont rares, donc difficile de faire des statistiques, mais en plus on a regardé la provenance, ce qui a empiré les choses. Ajoutons que l'on a trouvé qu'il existe théoriquement une limite supérieure, et là, c'est le drame.

Carte galactique

Voilà comment on détecte les rayons cosmiques (gerbe : shower en anglais).
Les multiples détecteurs permettent de mesurer la provenance et l'intensité par coïncidence.

Voici une carte du ciel indiquant la provenance des rayons cosmiques à haute énergie :

Carte du ciel en coordonnées galactique montrant le flux de rayons cosmiques (provenant de l'observatoire Pierre Auger) pour des énergies supérieures à 8 EeV (1018eV), lissé. Le centre galactique est à l'origine, au centre de la figure.

L'indication (dans le rouge) donne la position de l'excès de rayons cosmiques provenant de cette direction, alors que le cœur de notre galaxie est situé au milieu, à l'origine. Au moins on peut dire que ça ne vient pas de notre bulbe, qui est pourtant fort riche en évènements, à commencer par son trou noir supermassif. Et on va se gratter le bulbe pour expliquer ça...

On a pu au moins conclure, avec pas mal d'observations relativement récentes, que les rayons cosmiques de haute énergie ne provenaient pas tous de la Voie Lactée. C'est déjà ça.

Les explications seront dans tous les cas difficiles à soutenir car s'agissant de particules chargées, elles sont déviées par tous les champs magnétiques qu'elles traverseront, et que nous connaissons très mal, forcément, notre galaxie est immense, et c'est loin...

Soumise aux champs magnétiques, la particule chargée peut provenir de n'importe où...

La limite GZK

Comme si ça ne suffisait pas, trois chercheurs ont démontré avec des arguments solides qu'il existait une limite à l'énergie d'un rayon cosmique (GZK-cutoff).

Le fond diffus cosmologique est une relique du Big Bang, un flux de photons qui apparut lorsque, 300 000 ans après le Big Bang, l'univers est devenu transparent. La température du fond cosmologique est d'un peu moins de 3 K.

Une particule énergétique d'une énergie supérieure à 5×1019 eV présente une probabilité importante d'interagir avec un photon du fond diffus. Il se crée alors un baryon qui se désintègre aussi sec en proton ou neutron + pion.

Kenneth Greisen, Vadim Kouzmine et Guéorgui Zatsépine ont alors déterminé qu'un rayon cosmique présentant une énergie supérieure à 1020 eV ne peut avoir parcouru une distance supérieure à 150 millions d’années-lumière.

😲 Ah mais on voit ça sur la courbe de flux !
À 1020 eV, on observe la coupure.
Mais les résultats Agasa dépassent cette valeur !
Le flux se casse la figure justement vers 1020 eV.
Effectivement, certaines expériences montrent bien cette limite.
Sauf que d'autres expériences exhibent des valeurs extraordinaires !
C'est le paradoxe GZK.

Agasa, paradoxe GZK

Si on a observé la coupure GZK, on a également observé des rayons cosmiques dépassant la limite, ce qui n'est pas forcément contradictoire car cela veut dire que ceux-ci proviennent "de pas très loin", car 150 millions d'années-lumière, ça n'est pas beaucoup en regard de la taille de l'univers (on parle de milliards).

Il s'agit de l'expérience AGASA (Akeno Giant Air Shower Array).

Direction d'arrivée des rayons cosmiques supérieurs à 4×1019 eV en coordonnées équatoriales. Les carrés sont à plus de 1020 eV. Les clusters à moins de 2.5° sont cerclés.

On retrouvera ici la liste des évènements supérieurs à 4×1019 eV :

Mais c'est bien plus compliqué qu'il n'y parait, car en observant la composition des rayons cosmiques en fonction de l'énergie (en mesurant la taille des gerbes), on constate que ce ne sont plus des protons mais plutôt des noyaux carbone-azote-oxygène.


Un article grand public plus détaillé et scientifique que ma modeste présentation :

Le saviez-vous ?

Astronautes

Les astronautes, depuis qu'on a marché sur la Lune, observent des flashes lumineux (phosphènes) certainement liés aux rayons cosmiques interagissant avec la rétine, genre un par minute.

exemples de phosphènes
Phosphènes causés par les rayons cosmiques

Électronique

Nos mémoires électroniques sont de plus en plus petites, et donc de plus en plus susceptibles d'être perturbées par les particules issues des rayons cosmiques, qui génèrent des charges et peuvent retourner un bit mémoire. Je ne parle pas des satellites où c'est carrément très ennuyeux, et il y a alors intérêt à avoir des systèmes redondants afin de détecter ce genre d'incidents (SER soft-error rate, SEE single event effect/upset, bit-flip...).

La particule engendre des charges qui perturbent le fonctionnement normal du transistor à effet de champ. Alors nos puces électroniques peuvent présenter toutes sortes de dysfonctionnements. Cela arrive dès qu'un champ électrique existe, car il va séparer les paires électron-trou, ce qui provoque un courant imprévu...

Dans les années 1990, IBM avait observé 1 retournement de bit pour 256 MB par mois. Et cela empire avec la réduction de la taille des composants, et l'altitude, c'est gênant pour les avions, il faut durcir le fonctionnement des logiciels et introduire de la redondance dans les mémoires (ce qui est fait) pour au moins détecter qu'il y a eu un problème.

Il existe quelques observations plus ou moins célèbres comme l'erreur observée lors d'un vote en Belgique, une perturbation de pilote automatique d'avion, un évènement bizarre lors d'une partie de Mario, etc.

Les ordinateurs quantiques ne sont pas épargnés, forcément, vu la taille d'un qubit...

Téléphone portable

La caméra de votre téléphone portable est devenue tellement sensible (parce que l'on veut une toute petite caméra avec plein de tout petits, petits pixels, alors il faut que le pixel soit super sensible) qu'elle peut détecter les rayons cosmiques, enfin plutôt les muons et les rayons gamma qui résultent de l'interaction avec notre atmosphère.

Les imagettes font 60×60 pixels

Taper "cosmic ray" dans votre fournisseur d'applications iPhone ou Android.

À côté de ça, on peut aussi faire des détecteurs de particules de manière plus classique.

Pyramides

Comme les muons interagissent assez peu avec la matière, ils la traversent facilement, et on s'est servi de cette propriété pour scanner les pyramides ou d'autres gros objets comme des volcans.

Le grand vide détecté dans la pyramide de Kheops par tomographie muonique (ScanPyramids)
Le détecteur du CEA. 4 plaques pour obtenir la direction du muon détecté afin de faire le tri, car des muons, ils arrivent de toutes les directions...

Teneur en eau du sol

On peut mesurer les niveaux d’humidité dans le sol grâce aux rayons cosmiques, avec un capteur adapté.

Humidimètre à neutrons de rayons cosmiques (Infographie : R. Kenn/AIEA)

Ce sont les rayons cosmiques qui fournissent les neutrons qui sont détectés au-dessus et dans le sol, la différence donne une indication sur la teneur en eau, car les neutrons rapides sont ralentis par l'hydrogène.

Sur le même principe, on peut aussi s'en servir pour détecter les fuites d'eau dans le réseau.

Nuages

L'expérience CLOUD du Cern avait pour but de déterminer s'il existait un lien entre la formation des nuages et les rayons cosmiques.

Les gouttes d'eau se forment autour d'un noyau de nucléation (une poussière si vous voulez), ce que les rayons cosmiques pourraient éventuellement engendrer. Je n'ai pas entendu parler de résultat à ce propos, par contre le site indique une découverte à propos des gaz émis par les arbres.

Géolocalisation

Les muons issus des rayons cosmiques se déplacent en ligne droite (jusqu'à une nouvelle interaction), et en multipliant les capteurs, et en chronométrant les temps de propagation (il faut des horloges précises, synchronisées), on peut réaliser de la géolocalisation dans des endroits inaccessibles par le GPS, sous terre par exemple.

Des stations de références (points verts) sont installés au sommet d'un building. Les muons se déplacent en ligne droite (traits blancs) et en chronométrant le temps de propagation, on remonte à la position. Comme les muons se déplacent à la vitesse de la lumière, il faut des horloges précises, 30 mètres à 300 000 km/s, c'est 100 nanosecondes.

Ce procédé, MuWNS, a été sélectionné comme une des meilleures inventions de l'année 2023 par TIME. Impressive !

C'est le même qui propose de faire de la cryptographie, et là, ce n'est pas une réussite.


Les rayons cosmiques, un vrai sujet d'étude avec des énigmes non résolues...

Pour en savoir plus à propos des muons :