La radioactivité
J'ai réalisé moi-même un compteur Geiger très basse consommation : il peut fonctionner des heures sur une pile bouton lithium.
L'objectif était de faire un tout petit appareil portable, pouvant fonctionner plusieurs heures sur une petite pile, tout en étant un vrai compteur Geiger.
Générer plusieurs centaines de volts à partir de 3 volts, sans consommer trop d'énergie, est un obstacle à franchir.
L'affichage des données peut aussi être un problème particulier, sans compter le microcontrôleur.
Mais nous avons un avantage : sans aucune particule détectée, autrement dit sans aucun "clic", alors la consommation pourrait être quasi-nulle, en particulier pour la haute tension. De plus, un "clic" peut servir d'interruption à un microcontrôleur, qui peut alors être en veille la plupart du temps.
Je vais vous décrire comment j'ai réalisé cela.
Le tube Geiger
Première difficulté : se procurer un tube Geiger.
En cherchant un peu sur Internet, on trouve des revendeurs de tubes, et j'ai jeté mon dévolu sur deux tubes :
- Le célèbre tube russe SBM20, qui possède des caractéristiques bien connues, et pourra me servir plus ou moins de référence (mais il faut une source calibrée pour cela) :

- Un petit tube américain, le LND712, commode par sa taille, et qui présente certaines différences avec le SBM20 :

Après des premiers essais pour voir comment ça marchait, j'ai utilisé le LND712 pour le projet final, car il est petit et présente une très bonne sensibilité.
Produire la haute tension
Un tube Geiger ne consomme pratiquement pas de courant puisque justement, il se produira une (petite) décharge uniquement lorsqu'une particule ionisée traversera le tube :

Mais il faut produire la haute tension, on parle de 500 volts quand même, et on sent que ce sera un gros poste de consommation si on n'y prend garde.
Elevateur de tension
Le montage électrique le plus simple et économique est le suivant :

Il s'agit de mettre en entrée une horloge, qui pourra être produite par le microcontrôleur, ce qui provoquera l'injection et l'interruption de courant dans une bobine, et par conséquent une impulsion de tension, qu'on chargera sur une petite capacité.
La fréquence de l'horloge aura une influence sur la tension produite.
Ce genre de montage consomme une énergie non négligeable, mais moins d'un milliampère. C'est encore beaucoup pour mon objectif, et il existe un piège.
L'ingénieur normal aura tendance à vouloir faire une boucle de contre-réaction, afin de réguler la tension. Pour cela, il faut mesurer la tension produite, et si elle augmente trop, on réduit l'horloge d'entrée, et l'inverse si la tension descend.
Pont diviseur de tension
Pour cela, on réalise un pont diviseur de tension pour mesurer la tension. Par exemple, j'utilise 0.500 MΩ pour un total de 200.5 MΩ soit 0.00249 la tension initiale, autrement dit, si j'ai 500 volts, je devrais lire 1.25 volt avec le convertisseur analogique-numérique de mon microcontrôleur.

Et là, c'est le drame. Car même en mettant 200 MΩ, sous 500 volts, cela fait 2.5 µA, ce qui parait faible, mais cela fait 1.25 mW, autrement dit 400 µA sous 3 volts, en permanence !
Conclusion: il ne faut pas faire de contre-réaction permanente. On ajustera la tension manuellement la première fois, et cela suffira largement. J'ai quand même ajouté un pont diviseur qui me permet de vérifier la tension, mais à travers un interrupteur manuel -surtout pas un transistor qui fuira immanquablement.
Achetez-la !
Finalement, j'ai trouvé une petite alimentation HT qui ne consomme quasiment rien, munie d'un petit potentiomètre de réglage, c'était un circuit vendu par un amateur lithuanien éclairé :

On parle d'une dizaine de microampères sous 5 volts max. Bien moins que le montage primaire qu'on vient d'examiner.
Détecteur d'impulsions
Théoriquement, on peut détecter l'impulsion côté HT, c'est souvent recommandé, mais cela marche aussi très bien côté masse.
Amplifier le signal

Le signal est capté à travers un pont diviseur, sur la base d'un petit bipolaire. Il faut mettre une résistance côté collecteur, et celle-ci sera fournie par le microcontrôleur (on peut programmer la présence ou non d'une résistance, et la mettre à l'alimentation ou la masse). On programmera aussi le microcontrôleur pour qu'il se réveille si un signal se présente (interruption).
J'ai ajouté un petit ampli simplet qui permet d'avoir un éclair sur une LED ainsi qu'un petit "clic" audible, comme pour un vrai compteur Geiger antique. Et cela avec une consommation quasi-nulle.

En jaune, c'est le signal sur la base du NPN, en bleu sur le collecteur.
On voit que j'aurai un temps mort d'une centaine de µs.
Microcontrôleur
J'ai utilisé un MSP430FR2533 de Texas Instrument. Non seulement il n'est pas cher, mais il possède les caractéristiques suivantes :
- 16k de FRAM, de la mémoire non volatile
- assez de RAM pour contenir l'image complète de l'afficheur
- une consommation quasi-nulle en veille, on parle de nanoAmpère
- assez d'entrées-sorties pour piloter l'ensemble
- pas regardant côté alimentation, une pile lithium suffit largement

De plus, TI fournit gratuitement le logiciel de programmation et de debug, ça se pilote à travers 2 fils, plus la masse et l'alimentation.
Afficheur
Le Sharp LS013B4DN04 est un afficheur avec une technologie assez extraordinaire. Sharp memory LCD
- LCD réflectif noir et blanc : fonctionne en réfléchissant la lumière, comme si on avait un petit miroir ou non pour chaque pixel. Pas besoin de rétro-éclairage.
- Ecran 1.3 pouce (33 mm), 96x96 pixels (existe aussi en 128x128)
- interface série SPI (donc peu de fils)
- mais surtout, une dizaine de µW de consommation !
Pour faire simple côté connectique, autant se servir du BoosterPack de TI : Sharp® LCD BoosterPack (430BOOST-SHARP96) for the LaunchPad d'autant plus qu'il faut générer du 5 volts, et que cela est fait par la carte. Et en plus, c'est fait pour les microcontrôleurs TI, donc cela facilitera la programmation.

L'opération d'écriture est la plus longue, on parle de dizaines de millisecondes, mais c'est acceptable, surtout qu'on s'arrangera pour avoir un affichage assez fixe, où les modifications interviennent plutôt par ligne.
Circuit complet

Un interrupteur pour l'alimentation, un autre permet de vérifier la haute tension.
Deux boutons poussoirs permettent de sélectionner le mode de fonctionnement.

J'ai directement utilisé le boosterpack pour l'affichage
où j'ai ajouté une LED et un petit haut-parleur pour les clics.
À droite le microcontrôleur, en bas on aperçoit les 4 broches pour la programmation.

Le transistor noir à côté des 4 broches de programmation est celui de lecture.


Je n'ai pas fait de circuit imprimé vu que c'est un exemplaire unique.
Et puis cela permet de rattraper les bévues, ou faire des améliorations.
Programmation
Au lancement, l'affichage est rafraichi une fois par seconde et à chaque clic, et on voit les clics s'afficher. Puis au bout d'une quinzaine de secondes, le rafraichissement passe à une fois par minute, pour économiser l'énergie.
Mais les clics sont systématiquement visibles et audibles, puisque cela ne passe pas par le microcontrôleur.
Sur pression d'un bouton, le rafraichissement repasse à 1 Hz. Sur une seconde pression, on accède aux enregistrements de session : à chaque mise sous tension, une nouvelle session est ouverte et on mémorise les résultats. On peut consulter et effacer chaque session.
Le seul truc qui manque vraiment, c'est la date et l'heure. Mais bon, un papier et un crayon peuvent faire l'affaire.
Consommation électrique
En économie maximale, avec le tube LND712 alimenté à 500 volts, la consommation est de 74 µA. Mais la consommation augmente avec le nombre de clics par seconde, puisque je génère une interruption à chaque fois et qu'une décharge de haute tension se produit, donc si l'ambiance est très radioactive, la consommation augmente, du genre +170 µA. Les pics de courant s'élèvent à 1.7 mA, c'est la consommation maximale.
Une pile lithium CR2430 d'une capacité de 300 mAh pourrait théoriquement alimenter le circuit en mode éco pendant 4000 heures, ce qui ne sera pas le cas car non seulement la consommation augmente si on lit beaucoup de clics, et en plus la tension de la pile descend relativement vite avec la décharge, en dessous de 2.7 volts, l'affichage pose des problèmes. En pratique, je dois être dans la centaine d'heures, et c'est déjà très bien.
Mesures
Voici mes résultats de mesure, en comparant deux tubes, un SMB20 et le LND712. Le SMB20 est nettement plus grand, et capte plus de rayonnements, forcément. À 200 m d'altitude :
- SMB20 : 1167 coups en une heure, soit 19.4 cpm
- LND712 : 610 coups en une heure, soit 10.1 cpm
Voilà qui me donne une base.
Avec des baguettes de soudure au thorium, à 5 cm de distance, j'ai relevé :
- SMB20 : 370 cpm
- LND712 : 130 cpm
Ces valeurs sont divisées par 10 à 40 cm.
Le plus intéressant fut un trajet en avion, à savoir Lyon-Rome, où j'ai relevé :
- au sol : 10 cpm
- à l'altitude de croisière : 250 cpm
25 fois plus en vol ! Ce n'est pas rien.
Voici la preuve que l'on peut réaliser son propre compteur Geiger relativement facilement.