Les ordinateurs quantiques
Machines quantiques
Au Leti, un laboratoire du CEA, on aime bien la microélectronique et surtout la technologie FDSOI, des transistors silicium réalisés sur une couche isolante.
Avec ça, on peut manipuler des électrons, voire un seul électron. Et c'est hautement intégrable, on peut faire vraiment beaucoup de transistors, il est probable que votre smartphone possède une puce FDSOI pour le processeur, mais celui-là, il chauffe. En quantique, on va les mettre au frais.
Qubit silicium
On les appelle "silicon spin qubit ". L'idée est de piéger un électron individuel (ou un trou) dans une boite dite quantique. On sait faire ce genre de choses avec la technologie CMOS, en particulier le FDSOI :

SET : single electron transistor. A basse température, les électrons auront tendance à se repousser (Coulomb blockade), favorisant la présence d'un seul électron dans la boite.
On utilise le moment magnétique (= le spin) de cet électron comme qubit. Avec cette structure, le spin n'est couplé qu'au champ magnétique et aux autres spins nucléaires du coin, ce qui diminue son temps de cohérence. Pas glop.
Ce n'est pas terrible dans l'arséniure de gallium, et dans le silicium habituel, il traine quelques pourcents de 29Si qui possède un spin.

Qu'à ne cela tienne : on purifie le silicium de manière à n'avoir que du 28Si et le tour est joué.
La séparation entre spin-up et spin-down est donnée par l'énergie de Zeeman Ez = |g|.µB.B dans un champ magnétique B, où µB est le magnéton de Bohr et g la constante de couplage. Aux températures utilisées, et avec un champ magnétique de l'ordre de 0.1T, les fréquences à appliquer sont de l'ordre de quelques GHz pour retourner le spin.
Manipulation du qubit
Maintenant, il faut pouvoir orienter notre spin à volonté, autrement dit pouvoir le placer dans l'état |0> ou l'état |1>. Pour cela, il existe essentiellement deux méthodes :
- ESR : Electron Spin Resonance.
On envoie un champ magnétique à la fréquence de résonance grâce à un fil parcouru par un courant alternatif juste à côté de notre qubit. C'est un peu délicat à faire localement. - EDSR : Electric Dipole Spin Resonance.
La rotation du spin est provoquée par un champ électrique oscillant à l'aide d'une grille adaptée au-dessus du qubit. C'est un couplage dit spin-orbite. Il faut parfois ajouter un aimant pour aider cet effet.


Normalement, on peut réaliser toutes les valeurs de rotation que l'on veut, et donc effectuer l'opérateur de rotation défini dans nos portes quantiques.
Mais comme on peut s'en douter, manipuler chaque boite individuellement ne sera pas si simple quand on aura pas mal de qubits. Il va y avoir de la filasse, avec les capacités parasites associées.
Mesurer un qubit
Il se trouve que le couplage spin-orbite est plus fort pour un trou que pour un électron, aussi on a tendance à préférer les trous, et alors on utilise des pFET couplés ainsi :

La première grille est notre qubit. On va placer dans la seconde grille une particule avec un spin connu. On se retrouve alors avec deux boites contenant chacune une particule, et si jamais les deux particules ont le même spin, le principe d'exclusion de Pauli empêchera notre qubit d'aller rejoindre la seconde boite. Il faudra que les deux soit antiparallèles : c'est astucieux.
Sauf que, si on libère notre électron pour le mesurer, il faudra répéter beaucoup de fois l'opération, pour avoir un courant mesurable ! Ce qui est incompatible avec le mode de fonctionnement de l'ordinateur : on ne peut mesurer qu'une seule fois.
On utilise alors une ruse : on couple un transistor de mesure avec la présence de la charge ou non, à travers une capacité de couplage Ccross. Cela a pour effet de modifier (légèrement) la tension de seuil du second transistor, ce qui sera mesurable. Une sorte d'amplificateur -fonction de base d'un transistor, osons le rappeler.

Une autre méthode consiste à utiliser la réflectométrie.
Coupler des qubits
Il va bien falloir, à un moment ou à un autre, appliquer nos fameuses portes, au moins sur 2 qubits. On en est encore au stade la recherche, mais une première ruse permet de coller le canal dans un angle de cette manière :

Ce qui permet d'en mettre deux face à face :


La proximité des deux canaux dans les angles devrait permettre un couplage effectif entre les deux particules en jouant (aussi) avec la tension face arrière.
En effet, quand deux électrons sont assez proches, leurs fonctions d'onde se recouvrent, et ils peuvent alors échanger leur spin. Pour une durée bien précise de couplage, cet échange est complet (on a un SWAP). Bingo.
Voilà pour les principes. Maintenant, il faut faire fonctionner tout ça, avec de l'électronique de commande à très basse température.
Puis le reproduire à des millions d'exemplaires sur une seule puce.
Il est probable que les idées techniques décrites ici évoluent avec le temps !
SiQuance
(29 novembre 2022) Eh bien ça y est, une startup issue du Leti se lance dans la course à l'ordinateur quantique : il s'agit de Siquance (Silicium quantique en séquence, j'imagine). Ils choisissent le mode fabless, ce qui me parait judicieux.
Leur site web : SiQuance https://www.siquance.com/
- Accès au dossier de presse CEA (dossier de presse très publicitaire et pas technique, c'est ce qu'il faut, les gens n'y comprennent rien de toutes manières, vous avez vu le massacre rien qu'avec mon site...).
- Annonce CNRS et accès au même dossier de presse.
Bonne chance, car il y a beaucoup de travail à faire, et pas seulement en technologie.
(Juillet 2023) C'est devenu Quobly (Quantum and Grenoble)