Le problème du train et du quai, ou du tunnel, ou des deux trains, c'est pareil, est un grand classique assez inévitable, qui offre un exemple quasiment canonique.
L'expérience du train et du quai
Ce classique exemple d'application de la relativité restreinte concerne un train de longueur propre L, allant à la vitesse v, arrivant à quai en gare (ou dans un tunnel, ou deux trains qui se croisent), lequel quai présente la même longueur propre L. Le train ne s'arrête pas, il passe et c'est tout (et c'est déjà bien casse-pied à interpréter).
Autrement dit, lorsque le train est à l'arrêt, sa longueur est exactement celle du quai.
Les écueils habituels que font ceux qui décrivent le problème est de montrer un dessin avec un train plus court que le quai, alors que le fond du problème est justement d'éviter de montrer la vue d'un troisième observateur qui met la zone de partout.
Et il ne s'arrête pas en gare.
2 référentiels, 4 horloges
Nous avons ici deux référentiels :
- Le référentiel R du quai, que les gens supposent souvent fixe, ce qui est idiot en relativité, et cela induit des réflexions oiseuses.
Nous plaçons 2 horloges dans ce référentiel R :
- Une horloge H1 au début du quai, fixe dans le référentiel R
- Une horloge H2 en fin de quai, fixe dans le référentiel R. Cette horloge est synchrone de l'horloge H1 puisque H1 et H2 sont fixes dans le même référentiel.
Les deux horloges sont synchrones, elles indiquent toujours la même heure.
- Le référentiel R' du train. Souvent pris comme étant le seul en mouvement, ce qui est tout aussi crétin.
Nous plaçons 2 horloges dans ce référentiel R' :
- Une horloge H'1 à l'avant du train (dans la locomotive), fixe dans le référentiel R'
- Une horloge H'2 à l'arrière du train, fixe dans le référentiel R'. Cette horloge est synchrone de l'horloge H'1 puisque H'1 et H'2 sont fixes dans le même référentiel.
Les deux horloges sont synchrones, elles indiquent toujours la même heure.
4 évènements
Pour aborder correctement le problème, il faut impérativement bien identifier les 4 évènements qui le composent.
Pour rappel, un évènement est « instantané », il ne se produit qu'une seule fois. Vous pouvez imaginer cela comme étant l'explosion d'une supernova : cela arrive à un moment bien précis, une seule fois, dans un endroit tout aussi précis de l'univers. Un évènement possède des coordonnées spatiales et temporelles, qui sont évidemment particulières dans un référentiel particulier.

Évènement E1 : la locomotive arrive au début du quai.
C'est l'entrée en gare du train.
Par convention, on décide de mettre toutes les horloges à zéro.

Évènement E2 : la locomotive arrive au bout du quai.

Évènement E3 : le wagon de queue arrive au début du quai.

Évènement E3 : le wagon de queue arrive au bout du quai. Le train sort de la gare.
Remarquez que je n'ai pas fait de dessin global de la situation du train et du quai. Seuls les évènements sont importants. Si vous tentez de montrer le train en entier vu depuis le quai, la plupart du temps les gens montrent un train plus court, ce qui est trompeur.
Maintenant, il s'agit de calculer les coordonnées de chaque évènement dans chacun des deux repères, aidé par la transformation de Lorentz.
Je ne détaillerai pas les calculs, c'est classique et connu, consulter l'exercice 6 de ce corrigé pour les détails. Mais certains résultats sont évidents, comme le temps mis par le train pour parcourir une distance L, c'est évidemment L/v. Vu du référentiel du quai, ce temps est divisé par γ (le gamma correspondant à la vitesse v de la transformée de Lorentz).
Voici les résultats :
Évènement | Référentiel R du quai | Référentiel R' du train | ||
---|---|---|---|---|
position x | temps t | position x' | temps t' | |
![]() | 0 | 0 | L | 0 |
![]() | L | L/v | L | 1/γ L/v |
![]() | 0 | 1/γ L/v | 0 | L/v |
![]() | L | (1+1/γ) L/v | 0 | (1+1/γ) L/v |
Lecture des résultats
Du côté des positions, on n'observe rien de spécial puisqu'elles ont été imposées par les conditions du problème.
Mais temporellement, c'est nettement plus rigolo. Rappelez-vous que γ est toujours supérieur à 1.
Voici les notes enregistrées par le chef de gare, un peu après le passage du train, le temps que les informations lui parviennent :
Notes du chef de gare
- à t=0, la locomotive entre en gare.
- à t=1/γ L/v, la queue du train a atteint l'entrée de la gare (évènement E3).
- à t=L/v, la locomotive a atteint le bout du quai (évènement E2). C'est normal, puisqu'elle va à la vitesse v et qu'elle parcourt la longueur L. Par contre, comme la longueur du train a diminué du fait de la contraction des longueurs, la queue du train est arrivée un peu avant l'arrivée de la locomotive au bout du quai.
- à t=(1+1/γ) L/v, le train a quitté la gare. Il aura fallu L/v au wagon de queue pour parcourir la longueur L à la vitesse v. Normal.
Voici les notes enregistrées par le conducteur du train, un peu après son passage en gare, le temps que les informations lui parviennent :
Notes du conducteur de train
- à t=0, la locomotive entre en gare.
- à t=1/γ L/v, la locomotive atteint la sortie de la gare (évènement E2). Normal, puisque les distances se sont contractées du côté du quai, alors le quai est plus court (de 1/γ).
- à t=L/v, le wagon de queue a atteint l'entrée de la gare (évènement E3). Après que ma locomotive ait dépassé la gare. Normal, mon train est plus long que le quai.
- à t=(1+1/γ) L/v, le train a quitté la gare. Il aura fallu L/v au train de longueur L pour passer devant le bout du quai à la vitesse v. Normal.
Les évènements ne sont pas dans le même ordre !
Lorsque le chef de gare et le conducteur du train échangent leurs notes, ils se rendent compte que les évènements E2 et E3 ne sont pas arrivés dans le même ordre !
Et pourtant, ils constatent que le temps mis par le train entre l'entrée en gare de la locomotive et la sortie du dernier wagon est le même...
🙀 Stupéfiant, non ?
L'explication est simple :
- Pour le chef de gare, le train est moins long que son quai
- Pour le conducteur du train, le quai est moins long que son train
Alors que la vitesse relative reste évidemment identique, c'est le principe de relativité. Et ceci arrive car la situation est symétrique. D'où l'inversion de l'ordre des évènements suivant l'observateur.
Le paradoxe du train
Un paradoxe a été proposé concernant cette expérience en tirant parti de cette histoire de désordre des évènements. Et en plus, cela illustre l'imbécilité présentée par certains en montrant un train plus court que le quai, ou l'inverse, et pour faire bonne figure, je vais faire exprès de tomber dans le panneau.
Une bombe est installée à l'avant de la locomotive, prête à péter lorsque la locomotive dépassera le bout du quai (évènement E2).
La bombe sera désamorcée par un signal provenant du bout du train lorsque celui-ci parviendra au début du quai (évènement E3).
Est-ce que la bombe explose ?
- Vue du quai : l'arrière du train arrive au début du quai (E3) bien avant que la locomotive atteigne le bout du quai (E2). Pas d'explosion.
Le signal peut alors partir de la queue de train avant que la tête n'arrive au bout du quai.
- Vue du train : la locomotive dépasse le bout du quai (E2) avant que la queue du train atteigne le début du quai (E3). La bombe explose.
La bombe explose puisque la queue du train n'a même pas atteint le quai !
C'est le paradoxe.
Et la stupidité de ce genre de dessin, où votre cerveau, en voyant le train complet, introduit immanquablement de la simultanéité là où elle n'existe pas.
Si vous faites l'évaluation de (1-1/γ) L/v - L/c (remplacez γ par β et factorisez), vous trouverez que c'est négatif, autrement dit aucun signal n'est capable d'atteindre la tête de train en moins de temps que la différence des deux évènements.
Cela revient à dire que l'intervalle spatio-temporel entre les deux évènements ( c²t² - l² ), qui est un invariant (sa valeur est la même dans tous les repères), est du genre espace, la distance spatiale est plus grande que la distance temporelle.
Application numérique
De la physique sans une petite application numérique ? Pas possible !
Soit une double-rame de TGV passant en gare, où les quais sont (curieusement) juste de la taille de deux rames.
- La longueur d'une rame est de 200 m, soit L = 400 m
- La vitesse est de 300 km/h, soit 83 m/s
- Le β vaut 276.10-9 et γ = 1+38.10-15
- L/v vaut 4.8 secondes
- (1-1/γ) L/v (l'écart de temps à discriminer) vaut 38.10-15 x 4.8 soit 1.8.10-13, 0.18 picoseconde.
On est dans la précision des meilleures horloges atomiques (qui est dans les 10-14 à 10-15), et carrément facilement à la portée d'une horloge nucléaire à thorium.
Sauf qu'elle est un peu encombrante, qu'il en faudra deux, que ce n'est pas facile à installer dans la campagne, et qu'on aura des ennuis avec les capteurs, leur placement, et la transmission d'information. Ce n'est pas gagné.
Dans le problème du train et du quai, le paradoxe est sur les distances (vu qu'on fixe la taille du train et du quai).
L'équivalence entre une distance et un temps (via la vitesse de la lumière) va permettre de faire des choses encore plus stupéfiantes concernant le temps, d'autant plus que si les distances « reviennent » quand le train s'arrête, ce n'est pas le cas des horloges.
Le paradoxe des jumeaux est un cas d'école qui fait couler encore beaucoup d'encre. Alors que sa résolution est abordable, à partir du moment où on regarde les choses correctement.