Intro à la mécanique quantique
Intrication

A la vue de l'équation de Schrödinger et des calculs mathématiques associés, on se rend vite compte que le concept d'intrication entre deux quantons ou quantums ou quanta vu que c'est du latin, et/ou parfois quantum bit dit qubit, élément qui contient 1 bit d'information quantique ne dépend pas de la réalisation physique des quantons.

Dans les deux cas de quantons que nous avons vus jusqu'à présent (photon et défaut cristallin), il s'agit -de facto- d'une intrication "spatiale" : ce sont deux quantons qui existent simultanément à des endroits différents.

Grosse évidence, mais ce n'est pas si évident qu'il n'existe que ce cas-là, la relativité a plutôt tendance à traiter l'espace et le temps sur un pied d'égalité. On peut donc s'attendre à voir de l'intrication dans le temps, ce qui promet de belles prises de tête avec les histoires de simultanéité qu'on vient de constater (mais pas de vraiment comprendre).

Eh bien les "time-bin qubit" anglais sont des quantons temporels. On va découvrir ça avec des photons qui se suivent dans le temps, au même endroit spatial, dans une fibre optique.

Les outils

Pour ça, il nous faut les ingrédients suivants, dont quelques nouveaux éléments. L'idée est d'utiliser des photons dans des fibres optiques, parce que c'est commode.

  • Un générateur de photon sur une impulsion temporelle de durée τ
  • Un coupleur optique: ce sera l'équivalent temporel de la lame semi-transparente. On utilise aussi des commutateurs optiques.
  • Une "ligne à retard" : pour décaler temporellement un signal. C'est facile à faire, il suffit de mettre un bout de fibre optique enroulé = un retard optique. La lumière mettra un certain temps pour parcourir la fibre et le tour est joué.
  • Un modulateur de phase : il déphasera l'onde. On a déjà vu qu'une réflexion déphasait l'onde de 180° et que la biréfringence provoquait des déphasages particuliers. Secondaire pour nous pour l'instant.
  • Et nos détecteurs de photons, capable de bien "fenêtrer" nos photons puisqu'on va les décaler dans le temps, évidemment.

Suivez les liens pour en savoir un minimum sur ces outils, puis revenez ici.

Fabrique de photons temporels

Nous voilà donc armés avec nos outils. Comment fabrique-t-on deux photons séparés temporellement ? C'est facilement devinable :

photon temporel
  • Une source nous génère un photon ayant une impulsion temporelle de durée τ dans une fibre optique. La durée de l'impulsion est très courte et est secondaire pour nous. Il faut qu'elle soit vraiment plus petite que le décalage temporel suivant (sinon, la séparation ne sera pas utilisable).
  • Elle arrive sur un coupleur qui va le "diviser" en deux, 50/50, avec ce qu'on a vu concernant la dualité onde-particule, on se méfie, évidemment.
  • Sur le côté haut, on ajoute un retard Δt. Il suffit d'allonger le chemin optique en ajoutant une certaine longueur de fibre.
  • On peut aussi ajuster la phase avec le modulateur de phase MP (souvent un "strecheur" de fibre).
  • Puis on recombine nos deux signaux dans un coupleur (le même type), ce qui va mettre nos deux photons bien derrière l'autre, et les séparer 50/50, ici un côté ne sert pas (et on perd la moitié de la puissance), il n'y a pas d'interférences de toutes manières, vu le décalage temporel enfin, il faut l'espérer!

Il existe pas mal de problèmes de mise au point car aucun élément n'est parfait, mais nous nous en fichons, on fait confiance aux chercheurs pour régler tout ça, nous, on veut juste saisir les concepts.

À noter :

  • On peut remplacer le second coupleur optique par un commutateur optique, et garder toute la puissance.
  • Le coup du "bras long, bras court" peut être fait avec un interféromètre de Michelson plutôt que de la fibre optique, c'est pareil.

Et voilà : nous avons deux photons successifs dans le temps, plus exactement nous avons deux slots temporels possibles où peut se trouver un photon (une onde ?) et dont la différence de phase vaut φ.

Le premier coupleur donne un choix pour le photon: côté "court" ou côté "long".

  • côté court on dit qu'il est à l'état |e> les roosbeefs disent "early"
  • côté long on dit qu'il est à l'état |l> "late"

De manière générale, le photon est superposé : |Ψ> = α|e> + β|l> J'explique ces histoires de notation mathématique, notation de Dirac dans un chapitre spécial. Inutile de chercher à comprendre ici.

On a rajouté du parcours ( = du temps Δt ) en allongeant la fibre, et avec un déphasage nul, le photon a l'état

|Ψ> = 1/√2 (|e> + |l>)

Une mesure évidente est de chronométrer tout ça : on mesure un photon dans le premier slot de temps, ou dans le second, avec un retard Δt. Un seul détecteur de photon et une pendule. Rien de bien sorcier.

Avec une différence de phase φ, le photon est alors à l'état

|Ψ> = 1/√2 (|e> + e |l>)

Si on reste dans la même et unique base, le déphasage ne sert à rien c'est une partie imaginaire. Mais on va jouer avec les phases.

Analyseur temporel

Maintenant, il nous faut un instrument de mesure, un "analyseur temporel" (l'équivalent du cube séparateur de polarisation). En fait, c'est plutôt simple: on refait le même cinéma que pour la génération, en échangeant les rôles des bras, ce qui permet d'avoir une situation où on pourra faire des interférences (sinon, c'est sans intérêt).

analyseur temporel

Nous avons nos deux impulsions qui arrivent. Pour les faire interférer, il va bien falloir les synchroniser, donc on (re)met -ou pas- un retard Δt.

On se retrouve avec 4 cas, dont deux équivalents à la différence de phase près, sur 3 slots temporels :

  1. |ee> "court" + "court" : on arrive sur le premier slot temporel
  2. |ll> "long" + "long" : troisième slot temporel (+2 Δt), avec l'addition des déphasages
  3. |el> "court" + "long" : slot temporel du milieu, second déphasage, on a une interférence
  4. |le> "long" + "court" : slot temporel du milieu, premier déphasage, on a une interférence

Comme on ne sait pas différencier les deux cas du slot temporel du milieu, on parle de |el> + |le>. Seul ce cas va interférer, et c'est évidemment celui-là qui va nous intéresser.

Les deux autres ne vont servir à rien, c'est 50% de perte (= de la bande passante perdue). Et ici, on utilise "que" 2 bases, c'est pire quand on augmente le nombre de bases.

Nota: cette structure est la même qu'un interféromètre de Mach-Zehnder. Mach-Zenhder Voir la leçon 4 pour réviser.

Les deux impulsions vont interférer dans le second coupleur, constructivement ou destructivement suivant le déphasage total. On choisira le déphasage de l'analyseur en fonction de ce qu'on veut faire, par rapport au déphasage utilisé lors de la génération, une valeur égale étant un cas très particulier et peu utile.

On retrouvera sur D1 l'inverse de D0 (les deux sorties ne sont pas symétriques, pour rappel).

Ce montage a l'avantage de ne pas faire intervenir la polarisation de la lumière. Ce qui permettra aussi de faire des trucs bien plus tordus plus tard en combinant plus de chemins optiques (pourquoi que deux?) avec la polarisation de la lumière, sa couleur, etc. On pourra alors appliquer des opérations particulières dans chaque branche.

Intrication temporelle

Si on compare à la polarisation, où le photon est en superposition verticale et horizontale, alors ici c'est remplacé par une superposition où le photon est soit sur le slot t0, soit le slot t1. L'effondrement est remplacé par la mesure temporelle. C'est notre nouveau type de quanton.

Pour intriquer, j'ai besoin de 2 quantons, qui seront dans le même état, et le fait de créer deux chemins, un long et un court n'est pas suffisant.

Au moins deux méthodes ont été proposées

Une première utilise une source de doubles photons -la cascade atomique-, et on y retrouve l'interféromètre de Franson oui, ça ressemble furieusement à Mach-Zenhder, je sais où on fait varier la longueur du chemin optique, autrement dit le déphasage (car la variation reste très petite devant la longueur d'onde et la durée d'impulsion).

Interféromètre de Franson

Une seconde proposition met "au cul" du générateur de quantons temporels, une conversion paramétrique spontanée = le convertisseur bas qu'on connait déjà.

photon temporel et convertisseur bas

Ce qui ne semble pas vraiment rusé finalement : ça revient à dupliquer les photons de notre premier montage dans le temps, dont on connait l'intrication.

On appelle ça du time-bin entanglement. Ou encore de l'energy-time Bell state.

Avec un analyseur sur chaque côté, on va observer des détections sur chacun des trois slots {premier, milieu, dernier}. Pour rappel, la superposition est {t0, t1}: l'unique photon est dans les deux slots à la fois.

photon temporel et convertisseur bas + analyseurs

Voici la même chose sous une forme différente avec des signes cabalistiques compliqués (qu'on tentera de comprendre plus tard). On y remarquera une sphère de Poincaré, et non Bloch, mais c'est pareil :

photon temporel et convertisseur bas + analyseurs

On observe de chaque côté 3 pics caractéristiques des chemins empruntés :

  • Premier pic : chemin court-court
  • Troisième pic : chemin long-long
  • Second pic : court-long ou long-court, non distinguables => on y attend des interférences.

Ce qui est plus intéressant, ce sont les corrélations entre Alice et Bob :

  • Si Alice observe un chemin court-court, alors elle est sûre que Bob aura un court-court ou un court-long. Mais jamais un long-long. Et réciproquement si elle observe un long-long. C'est l'intrication.
  • On observe des interférences du genre : 1 + V cos(α+β-φ)
    V est la " visibilité ", peu importe, c'est le terme en cosinus dépendant de α+β qui est remarquable (comme pour le cas de l'axe de polarisation).

Ci-après

  • en rouge les coïncidences A+,B+
  • en bleu les coïncidences A+,B-

qui dépendent des phases α+β.

C'est en exploitant ces phases que l'on montre la violation des inégalités de Bell.

diagramme des phases

Accessoirement, on voit qu'on pourrait en principe multiplier les impulsions, et c'est évidemment ce qu'on fait les chercheurs, avec des impulsions triple, quadruple…

A présent, vous savez qu'il existe des intrications aussi temporellement. Reprenez une aspirine.

aspirine