Nous avons vu dans la page précédente la symétrie de la situation concernant la mesure des longueurs entre deux référentiels : les deux voient des longueurs contractées, ce qui parait paradoxal.
Le temps, l'autre dimension impliquée, n'échappe pas à l'affaire, vous devez me voir venir. Sauf que les effets du temps sont différents, et pas "temporaires".
Débutant ? Commencez plutôt par l'introduction à la relativité.
Horloges synchronisées
Avant d'attaquer ces histoires de dilatation temporelle, nous allons rappeler que dans un repère galiléen, quelle que soit la distance, il est possible d'avoir la même heure partout.
Alice est sur la station Alpha, qui possède sa propre horloge. Sur DS9, située à la distance (fixe) de 20 années-lumière, il est possible d'avoir exactement la même heure. Arbitrairement, quand on parlera écoulement du temps, on partira de la date de début janvier 2400 pour fixer les idées.
Ce qu'on retiendra, c'est qu'il est possible d'avoir la même heure partout dans un repère galiléen.
Le temps universel, mis en œuvre sur Terre.
Synchroniser Bob et Alice
Bob n'est pas dans le même référentiel galiléen, aussi on ne pourra pas synchroniser les horloges en permanence. On pourra néanmoins procéder à une synchronisation initiale, en s'arrangeant pour avoir un évènement commun, par exemple quand Bob passe devant la station Alpha où est Alice, et nous décidons que ce sera l'évènement E0.
Mine de rien, cette opération n'est pas anodine car nous assistons à une simultanéité : Alice et Bob au même moment au même endroit. Ne perdez pas de vue cette histoire, elle deviendra importante.
Une fois que Bob s'éloigne, la synchronisation est perdue, bien sûr. L'horloge atomique de Bob fonctionne indépendamment de l'horloge atomique d'Alice. Ce sont des Chronoperfecta, réputées ne jamais se dérégler.
Dilatation du temps symétrique ?
Nous reprenons nos compères.
Les deux voient l'autre se déplacer à la même vitesse relative, certes en sens inverse (ce qui ne change rien). Je sais, je me répète, mais c'est normal, on va avoir la même chose que pour les longueurs.
Point de vue d'Alice
Nous avons vu que le temps se dilatait quand on changeait de référentiel :
xb = - γ β cta
Comme γ est toujours plus grand que 1, une seconde chez Bob est plus longue lorsqu'elle est vue en mouvement par Alice. En d'autres termes, l'horloge d'Alice tourne plus vite que celle de Bob, et pourtant ce sont des horloges atomiques indéréglables. Le mouvement provoque une dilatation du temps.
C'est un peu plus délicat pour montrer cela graphiquement car on parle du temps, il faut alors s'embarquer dans un diagramme de Minkowski et nous allons éviter ça. Pour aider la compréhension, nous allons utiliser le coup de la synchronisation initiale avec l'évènement E0=(0,0) où on règlera les horloges d'Alice et Bob à 2400 (on va s'arranger pour n'utiliser que des années entières).
Pour l'étape suivante, Alice va attendre ta = 15 ans. Mais on pourrait prendre 15 secondes, ce serait pareil sur le principe. Au moins avec 15 ans, on sent le temps passer, et la valeur n'est pas tout à fait anodine car elle est pratique pour les calculs.
L'application numérique des formules, à 80% de la vitesse de la lumière donne :
xb = - γ β cta = -(5/3)*(4/5)*15 = 20 a.l.
En français, ça veut dire que pour Alice en 2415, l'horloge de Bob affiche 2425, et Bob "voit" Alice 20 années-lumière derrière lui.
Nous allons appeler cet événement E1 :
référentiel Bob : (2025, -20 a.l.)
Point de vue de Bob
Maintenant que nous avons vu ce qui se passait du point de vue d'Alice, nous allons nous intéresser à Bob. On serait content de retrouver le même résultat, non ? Sauf qu'après ce qu'on a vu pour les longueurs, on s'attend à des carabistouilles du même tonneau pour le temps...
Et ça commence mal. Car les mêmes formules s'appliquent, même si la vitesse relative est négative : la situation est très symétrique. Pour enfoncer le clou, je refais le calcul, mais avec la transformation inverse :
│ xa = γ ( xb + β ctb )
La mesure du temps doit être faite au même endroit que E0 par Bob (l'horloge n'a pas bougée), et donc xb=0 :
│ xa = γ β ctb
Et paf ! 🤌 On trouve la même formule avec les rôles d'Alice et Bob échangés, et c'est un peu normal car la situation est symétrique ! Rien ne distingue Bob d'Alice, relativement parlant, même si j'en ai mis un dans un vaisseau et l'autre sur une station.
L'application numérique, pour tb = 15 ans donne le même résultat. Pareil. Normal. Pour Bob en 2415, l'horloge d'Alice affiche 2425, et Alice "voit" Bob 20 années-lumière plus loin.
Nous allons appeler cet événement E2 :
référentiel Bob : (2015, 0)
Horloge de Neptune
Comme la vitesse relative entre Alice et Bob ne change jamais, chacun d'eux embarque une seconde horloge atomique, mais dont la période est ajustée avec un rapport γ par rapport à l'horloge atomique normale.
Du coup, Bob peut poser un écriteau dessus avec l'indication "heure d'Alice". Et voir Alice vieillir plus vite que lui. Et réciproquement, pareil pour Alice... Mortelle comme idée, non ?
Contradiction

Diagramme de Minkowski
On peut tracer la trajectoire d'Alice et Bob dans un diagramme de Minkowski où l'abscisse est la position de l'objet, et l'ordonnée l'heure ─l'espace-temps─ :
Les flèches rouges indiquent la trajectoire d'un photon, à la vitesse de la lumière, indépassable, en dessous, les trajectoires sont impossibles.
Trois repères sont présentés :
- Un repère où Alice ne bouge pas. Bob se déplace à la vitesse v (80% de la vitesse de la lumière par exemple).
- Un repère où Bob ne bouge pas, c'est l'échange de point de vue. Alice recule à la vitesse v.
- Un troisième repère, se déplaçant à la moitié de la vitesse relative, v/2 : Alice recule à v/2, et Bob avance à v/2. La situation est désespérément symétrique...
La situation est identique aux histoires de contraction des longueurs : tout est symétrique, et il est impossible de décider d'un sens privilégié.
Le seul moyen est de casser la symétrie, par exemple rapprocher Alice et Bob afin de comparer leurs horloges dans le même référentiel : c'est encore la simultanéité qui va résoudre le problème. Mais là, on aborde le paradoxe des jumeaux.
Communiquer de manière symétrique, par exemple en expédiant des messages, ne changera rien. Inutile d'espérer voir une différence en envoyant des tics d'horloge régulièrement, d'ailleurs l'astuce de l'horloge de Neptune coupe court à tout ça.
Simultanéité, ordre & causalité.
Ordre des évènements
D'une manière générale, une simultanéité ne peut exister que dans un seul et même repère. En relativité, l'ordre des évènements dépend de l'observateur. Cet ordre peut s'inverser, ou être observé simultanément, dépendant du temps avec lequel les informations arrivent à l'observateur.
Dans le cas d'Alice et Bob, rien ne transpire, et nous nous trompons quand nous voulons plaquer la simultanéité à notre propre repère, car nous pensons toujours comme s'il existait un repère absolu !
Cette histoire-là présente des conséquences délicates quand on aborde la causalité d'un évènement par rapport à un autre.
Localité
C'est pour ça que la notion de localité est importante quand on parle causalité (et le phénomène quantique d'intrication est venu bousculer tout ça).
Un phénomène est local quand deux évènements peuvent être reliés parce que suffisamment proches pour pouvoir communiquer via la lumière. S'ils ne peuvent pas, c'est qu'ils n'ont aucune relation entre eux, en particulier de causalité.
Diagramme de Minkowski à deux dimensions spatiales. Nous sommes au centre, à la jonction des deux cônes, spatialement et à l'instant présent.
- On peut effectuer un voyage à une vitesse inférieure à la vitesse de la lumière. En particulier on peut envoyer un message à la vitesse de la lumière qui est la surface du cône.
- Aller dans futur en dehors du cône, "ailleurs", revient à voyager plus vite que la vitesse de la lumière.
- Dans le passé et dans le cône de lumière, il peut se produire un évènement qui pourra être la cause d'un autre évènement dans le présent, là où on se trouve spatialement.
- Dans le passé, en-dehors du cône, et bien aucun évènement ne pourra intervenir sur le présent, ni même envoyer un message (car on dépasserait la vitesse de la lumière).
- L'hypersurface du présent est la simultanéité des évènements dans le présent, impossible à observer par un observateur qui ne peut pas être "partout à la fois".
Conclusion

À suivre : les expériences qui démontrent la dilatation du temps.